Soeurs à l'époque Victorienne, elle se retrouvent !

The Letter. William Oliver II (British, 1823-1901). Oil on canvas.

Je suis toujours fascinée par le sens profond de nos élans, de nos intérêts, de nos passions. Cela révèle souvent des facettes de notre identité qui remontent à un lointain passé et dont les réminiscences subissent et aiguillonnent nos pas.


Je vous partage un clin d'oeil historique vécu par ma fille Laurie.  Cette belle jeune femme cultive un attachement profond pour l'Angleterre; elle parle d'ailleurs mieux l'anglais que le français, avec un mignon accent british,  alors qu'elle a grandi dans un milieu francophone, sans lien avec la communauté anglaise et encore moins britannique. Dès son premier voyage solo, elle a pris la direction de l'Angleterre. Elle y a noué des amitiés à travers un intérêt partagé pour les reconstitutions historiques et les costumes.  

De ses doigts de fée, Laurie confectionne des vêtements d'époque. Un talent, qu'elle porte aussi en héritage de son lointain passé, et qu'elle a fait resurgir en autodidacte, car personne dans son entourage immédiat ne l'a initié à la couture.

Or, lors d'une escapade au festival annuel de Jane Austen en Angleterre, elle fait la connaissance d'une jeune femme prénommée Marianne.  Elles ont d'emblée éprouvé  une attirance l'une envers l'autre; une amitié spontanée et précieuse.  Laurie ressent non seulement une affection pour cette nouvelle amie, mais un étrange élan protecteur.  Intriguée par cette rencontre inopinée et déroutante, elle me demande d'aller voir dans leurs mémoires communes si elles s'étaient connues auparavant.

J'ai alors perçu qu'elles avaient été soeurs à l'époque victorienne au Royaume-Uni. Toutes deux célibataires, elles tenaient une mercerie, confectionnaient des robes et vivaient sous le même toit.  Une relation d'interdépendance cousue très serrée.  Or, à l'aube de la quarantaine,  un âge avancé pour l'époque, Laurie fait la rencontre d'un homme et choisit vivre cette romance, de se marier et de délaisser Marianne et leur boutique. Cet abandon crève-coeur à été cuisant pour Marianne qui est décédée quelques années plus tard, esseulée et chagrinée. Un deuil,  dont Laurie a dû porter la lourde culpabilité.

Leurs retrouvailles et les sentiments protecteurs de Laurie envers son amie font directement résonance à cet épisode de leur histoire, tout comme ses talents innés en couture.

L'année suivante, je participe au pèlerinage annuel de Laurie en Angleterre.  Son amie Marianne fait office de guide touristique pour nous faire découvrir son coin de pays. Elle nous amène notamment dans une petite localité à proximité du village où elle réside. Au détour d'une rue, elle s'arrête devant maison en apparence anodine et reste muette.  J'ai tout de suite vu et ressenti qu'il s'agissait du lieu où elles avaient vécues à l'époque victorienne. En effet, Marianne avait scruté les archives, les registres paroissiaux et retracé l'existence de deux soeurs tenant mercerie et retrouvé l'adresse civique de leur habitation et de leur boutique.  Un moment vraiment inoubliable !

Ces retrouvailles ont aussi permis à Laurie de faire la paix avec l'abandon de sa soeur, cette bavure passée, et les émotions résiduelles qui subsistaient, par delà le passage du temps. Cette pacification de leur lien a permis de tourner une page et si leur amitié subsiste aujourd'hui, elle est renouvelée; avec une intensité plus modérée et délestée de tout sentiment protecteur.

Nos intérêts, nos rencontres signifiantes, nos pulsions ne sont pas le fruit du hasard. Cela peut parfois nous permettre d'aller puiser plus loin dans notre histoire personnelle et de comprendre avec une perspective élargie d'où nous venons, ce qui compose notre identité par-delà les circonstances et le cadre socio-culturelle de notre présente incarnation.  Cette vision plus vaste de notre réalité nous permet d'apprécier notre profonde unicité et de respecter et d'écouter vers où nos élans, nos talents, nos intérêts, notre intuition nous portent. Cela permet aussi de jeter du lest dans nos mémoires émotionnelles, clore des relations, mettre un terme à histoires inachevées...


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