Une cérémonie pour la naissance de Samuel

Samuel célèbre son septième anniversaire.  Un chiffre clef, le passage vers une autre étape de sa vie, un premier chapitre de son histoire qui se termine et le début d'un autre qui s'amorce. Moment propice, segment choisi pour faire le point, pour revisiter ces premières pages de sa vie et en alléger des passages. Samuel est arrivé dans cette vie porté par une fureur d'exister, en lutteur. Il a débuté par une fin, car il est mort à la naissance avant de décider de renaître. Sa naissance est teintée de sentiments vifs et brutaux. Ses parents avaient choisi de l'accueillir dans la quiétude de leur foyer. Une naissance à la maison en compagnie d'une sage-femme.  Pour la maman, il s'agissait d'un troisième enfant, une arrivée tardive au mi-temps de la quarantaine, un enfant attendu avec amour, l'enfant d'ailleurs d'un nouvel amour.

Malheureusement, l'accouchement tout en douceur a pris une tournure complètement imprévue et déroutante. Le bébé a donné des signes importants de détresse et a causé un départ précipité vers l'hôpital où la maman a été immédiatement anesthésiée pour  procéder à une césarienne d'urgence.
Samuel était mort. "Il était comme une motte de terre, le teint couleur glaise" décrit son père. Il choisit  de revenir à la vie et les interventions de réanimation portent fruit. "Pendant qu'on réanimait Samuel, j'étais dans un état méditatif, pour lui envoyer de l'énergie,  raconte son père. Tout d'un coup, je l'ai vu en haut d'une montagne, les bras en V en signe de victoire." On apprendra par la suite que  la grand-mère, en d'autres lieux, a eu la même vision.

Samuel est revenu victorieux. ll aurait mérité, après un si vaillant combat,  un accueil à bras ouverts. Il méritait le repos et le réconfort dans les bras de sa mère, blottit contre la chaleur et l'odeur de son corps,  sous le regard amoureux et bienveillant de son père. Tout au contraire, il a été reçu dans la bousculade, le stress, la précipitation et expédié à la pouponnière, intubé, monitoré, isolé.  Sa mère devra faire une crise pour qu'on accepte de l'amener auprès de son fils....trois jours après sa naissance.

Personne n'est sorti indemne de cet accouchement traumatique.  Pendant sa toute petite enfance, Samuel évitait sa mère, ne voulait pas soutenir son regard et recherchait constamment la présence de son père.  Le si précieux lien d'attachement avait été rompu.  Ses premiers instants de vie bafoués, dans la privation de l'essentiel: la reconnaissance, la chaleur humaine, la tendresse, la sécurité.  Son combat pour naître a été récompensé par l'isolement, la solitude, la froideur d'un berceau en fibre de verre. Son père assurait une présence assidue, sans pouvoir ou même savoir réclamer davantage: « Avec le recul et la conscience des impacts de la naissance, j'aurais exigé autre chose. Je l'aurais amené près de sa mère mais je me suis laissé aspiré par les protocoles hospitaliers. La fatigue, l'inquiétude, tout cela nous prive de nos reflexes de protection. On devient à la merci du système.»

Pour son septième anniversaire, les parents de Samuel ont souhaité célébrer sa naissance, pour lui permettre une renaissance dans l'amour et la douceur.  Nous avons orchestré pour lui une magnifique cérémonie, en pleine nature, au bord d'une rivière d'eau vive et vivifiante, au coin d'un feu. J'ai accompagné cette famille pour raconter à Samuel son histoire, pour  ramener à sa conscience ces évenements difficiles. Plusieurs voix se sont relayées pour relater les circonstances de sa venue au monde en solitaire. Des chants ont ponctués et soutenus ces instants de vérité.  Nous avons pu réinventer l'histoire de Samuel comme elle aurait dû se dérouler, selon les intentions véritables de ses parents. Il importait d'accueillir avec un profond respect  l'être qu'il est, pour rappeller à ce bel enfant sa place unique et inestimable dans ce monde et prendre le temps de le reconnaître dans son unicité pour qu'il prenne avec aisance et ampleur sa place, la place qui lui revient sans équivoque, sans que dans ses arcanes intérieures ses traumatismes de naissance lui dictent des comportements de survie, de déni de soi. Pour éviter que se distille sans fin le doute: le doute de sa valeur. Et puis la peur...la peur de l'abandon, peur de l'indifférence...

Nous avons créé un espace pour aller à sa rencontre, pour lui permettre de se délester de fardeaux qui pèsent lourd, qui instillent des comportements futurs basés sur des dérapages initiaux. Libérer les empreintes de naissance c'est faire du leste, ouvrir à la légèreté pour que son enfant puisse déployer ses ailes sans entrave et garder intacte cette étincelle dans le regard. 

Le beau Samuel portant  le magnifique collier crée pour l'occasion par sa mère. 


Cette cérémonie a permis aussi à la maman d'extirper des émotions comprimées, refoulées et faire la paix avec son accouchement. «Je me suis sentie violentée. On m'a assommé avec de puissants anesthésiants, ouvert le ventre, sorti l'enfant. Et puis c'est comme si je n'existais plus, personne ne se souciait de mes besoins émotifs et de ceux de Samuel".

La  maman  n'avait jamais fait le deuil de cette naissance usurpée.  Ce moment d'arrêt, pour se remémorer, lui a permis de récupérer le fil naturel de la naissance, là où il avait été cassé.  " J'ai revécu avec Samuel le moment que je sentais que la vie m'avait volé:  le premier contact avec les yeux de mon bébé à sa naissance.  J'étais dans une autre dimension.  Derrière ses yeux que je voyais immenses, j'ai vu son âme.  C'est ce qui m'a bouleversé."

Et moi, j'ai vu et ressenti, avec une émotion indicible, Samuel plonger tout entier dans les prunelles  accueillantes de sa maman....

J'en ai encore les frissons, comme une onde sur le coeur...



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